Depuis des siècles, fascinée par la Chine, sa culture, sa philosophie, ses systèmes sociaux si différents des nôtres, l’Europe a tenté de s’approprier les idées dans lesquelles elle pensait se reconnaître, les motifs artistiques qui flattaient son œil avide de nouveautés, tel le dragon.
Pourtant, ce dernier, incompréhensible pour un esprit centré sur la figure humaine, fut perçu dans sa « difformité », ne pouvant qu’incarner le mal. Rencontrer et comprendre une civilisation dans ce qu’elle a de radicalement étranger à notre mode de pensée implique de s’engager sur des chemins inconnus et d’accepter la découverte, sans la fantasmer ni forcer le rapprochement avec notre propre culture.
C’est à cette incursion que nous invite Danielle Elisseeff, à travers la notion la plus essentielle et pourtant la plus longtemps méconnue de la pensée chinoise : la transformation, qui pose en principe que la vie – dont la mort ne constitue que l’un des aspects – se traduit par un changement incessant. Depuis le deuxième millénaire avant notre ère jusqu’à aujourd’hui, multiples ont été les représentations mettant en images cette idée qui tente de donner forme à ce qui, précisément, n’en a pas dans la durée.
Les hybrides ? Ils foisonnent, ils nous entourent. Nous-mêmes sommes des hybrides, produits d’innombrables croisements engendrant à leur tour bifurcations et transformations. Pourquoi, dans ces conditions, parler plus particulièrement d’hybrides chinois ? Parce que la Chine reprend dans le monde, sous nos yeux, la place qui était la sienne il y a quelque dix siècles. À l’époque, bien avant que les Mongols ne conquièrent en 1279 l’ensemble de cet empire plus que millénaire et ne s’installent pour près de quatre-vingt-dix ans sur le trône du Fils du Ciel, la diffusion des produits chinois pesait déjà de tout son poids sur l’espace euro-asiatique : un poids si lourd que plusieurs historiens songent à lui attribuer aujourd’hui un rôle dans le développement économique de l’Europe occidentale, dès la fin de notre Moyen Âge.
Il se trouve, de plus, qu’en Chine des objets témoins d’un passé très ancien portent nombre d’images surprenantes : douées d’une force irrépressible, celles-ci disent de possibles croisements, la rencontre et la transformation des êtres, tels que les hommes d’autrefois les percevaient, quand ils regardaient le monde sans le secours d’aucun microscope, d’aucune lunette astronomique, d’aucun satellite.
Au fil des siècles, nombre de ces représentations disparurent, vidées de leur sens que plus personne ne comprenait. Mais certaines parvinrent à perdurer, à évoluer, à se faire accepter de génération en génération, si bien qu’aujourd’hui comme hier, par des voies multiples et détournées, elles continuent à nous séduire pour nous emporter vers leur berceau : le royaume des idées.
À propos de l’intervenante
Éminente sinologue, Danielle Elisseeff a mené sa carrière de chercheuse et d’enseignante auprès du CNRS, puis à la Maison franco-japonaise à Tokyo, à l’École des hautes études en sciences sociales (Centre d’études sur la Chine moderne et contemporaine) et à l’École du Louvre.
Elle se passionne pour de multiples aspects de la culture chinoise et extrême-orientale, aussi bien l’archéologie que la pensée philosophique, l’histoire de l’art, celle des idées et des échanges culturels, celle de la femme en Chine, ou encore l’art du jardin. Dans ces domaines, elle a publié des articles érudits et une vingtaine d’ouvrages de référence, dont des synthèses magistrales à caractère encyclopédique et didactique. Esprit original et lyrique, Danielle Elisseeff excelle aussi dans la transmission des concepts les plus théoriques et les plus éloignés de notre univers. Véritable passeur de cultures, elle permet ainsi une découverte et une meilleure compréhension du monde asiatique en Occident.